J’ai ouvert la bouche et j’ai avalé un nuage

On quitte la côte à Ste-Anne-des-Monts pour se diriger vers le parc de la Gaspésie. Un petit arrêt de trois jours pour faire de la randonnée en montagne. On entre au cœur de la péninsule gaspésienne par la route 299. Rapidement, on grimpe en altitude, les montagnes vertes se succèdent à l’horizon, on se faufile entre elles en passant  par l’étroite vallée de la rivière Ste-Anne, une des nombreuses rivières à saumon de la Gaspésie. L’eau est cristalline, le courant est fort, les saumons reviendront à l’automne.

Petite déception en arrivant, le sentier du mont Albert n’est pas encore ouvert en raison des restrictions d’accès visant à préserver la quiétude des lieux pour les caribous qui mettent bas à ce temps de l’année. Le troupeau de caribous de la Gaspésie, estimé à une trentaine d’animaux à peine en 2020, est un vestige des grandes populations de caribous de montagne qui parcouraient encore la majeure partie du nord-est de l'Amérique jusqu'à la fin du XIX^e siècle. Il s'agit du seul troupeau de cette espèce qui vit encore au sud du fleuve Saint-Laurent. Selon l’avis des experts, la situation du caribou est extrêmement critique. J’aimerais bien vous dire que les autorités gouvernementales québécoises ont prit, par le passé, et prennent aujourd’hui toutes les mesures nécessaires pour protéger l’habitat du caribou et assurer l’augmentation de la population mais ce n’est malheureusement pas le cas. Le lobby de l’industrie forestière et minière est trop puissant.

Plan B, nous optons donc pour le mont Richardson, altitude 1180 m. Une randonnée de 12 km avec un dénivelé de 570 m, qualifiée Expert par la SÉPAQ. Départ à 7h45, il fait 12 C. Nous les humains sommes fondamentalement curieux et les montagnes, tout particulièrement, attisent notre soif de curiosité. Il y a quelque chose d’initiatique lorsque l’on fait l’ascension d’une montagne de 1000 m et plus au Québec ou dans l’Est américain. On sait que l’on marchera pour une bonne partie de la journée, que l’on traversera en quelques heures plusieurs étages de végétation et qu’en approchant du sommet la forêt disparaîtra au profit d’un paysage de toundra alpine. Et là, le ciel deviendra immense, plus rien pour en atténuer la perspective, la mer de montagnes sera enfin à nos pieds.

Nous partons donc, seuls sur le sentier, les premiers marcheurs en marche pour le Richardson! C’est encore le printemps ici en Gaspésie. Tout est vert tendre. Le parterre forestier renaît et une multitude de plantes joue du coude pour occuper le meilleur site : les fougères qui se déroulent en fine dentelle, la trientale discrète et gracieuse, le quatre-temps symétrique, la clintonie qui se donne un air tropical, la tiarelle dentelée, le myosotis au bleu éclatant, le pissenlit de taille jurassique, les mousses et sphaignes aux formes et aux couleurs psychédéliques, l’aralie haute et fière et le lichen de caribou bien dodu et d’un blanc pur.

Les yeux sont ravis et les narines aussi avec ces effluves sucrées et résineuses qui allaient et venaient au gré des vents. Ici, une forêt de sapin et de bouleaux blancs, plus loin une forêt d’épinettes noires qui rapetissent au fur et à mesure que l’on approche du sommet. Enfin, nous arrivons sur la crête de roches recouverte de plantes alpines en fleurs. Il fait froid, le vent nous harcèle, les nuages filent à vive allure. J’ouvre la bouche et j’avale un nuage, quelle sensation enivrante. Le sommet est là, on voit la borne. Quelques pas encore dans ce panorama 360 degrés, nous sommes arrivés. Le soleil est parvenu à vaincre les nuages et nous offre quelques degrés de chaleur mais surtout des vues imprenables.

Haïku de Sushi

Monte, monte et monte

Roule la pierre sous nos pas

Au sommet, la perle

Un tour du sommet Mont Richardson

Mont Olivine

Le lendemain, on part de bon matin pour faire le sentier du mont Olivine (13 km), dénivelé de 460 m et altitude 670 m. La première partie du sentier longe les torrents rugissants de la rivière Ste-Anne.

Puis, on bifurque vers le sud-ouest et suivons le ruisseau du Diable. Là débute vraiment l’ascension sérieuse vers le mont Olivine.

Un des petits bonheurs lorsque l’on voyage à ce temps-ci de l’année c’est le sentiment d’être souvent seul dans les sentiers de randonnée. Le silence bruité de la forêt et le sifflement du vent sont nos seuls compagnons de route. Ce sentier nous permet d’avoir des points de vue spectaculaires du mont Albert tout au long du parcours.

Le sommet nous accueille avec son tapis de plantes alpines et de petites épinettes rabougries. On se trouve un petit coin protégé du vent pour casser la croûte et admirer le panorama. L’air est vif, la lumière parfaite, le bonheur complice. C’est toujours avec un petit pincement au cœur que l’on se résout à prendre le chemin du retour. Il fait chaud, nous sommes à l’abri du vent, la forêt est en éveil, les oiseaux sont symphoniques.

Haïku de Sushi

Le rythme des pas

ralentit dans la montée

ça sent le bonheur!

Après 2 heures de descente, la tentation est trop grande de s’arrêter au ruisseau du Diable pour faire saucette et relaxer sous le soleil chaud!